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Introduction : Reuze ou Reuze Papa ?

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Les géants peuplent la Flandre depuis la nuit des temps ; figurant tour à tour au coeur des processions religieuses puis des défilés profanes, ils sont aujourd'hui souvent associés aux événements qui marquent les grands moments de la vie de leur commune.

Mais peu d'entre eux ont la chance de prendre part à ces cortèges à nuls autres pareils que sont les défilés carnavalesques… Parmi ces géants privilégiés figurent le bailleulois Gargantua et les “reuze” de Cassel et Dunkerque.

Si ces deux derniers peuvent d'ailleurs sembler porter le même nom, c'est parce qu'en réalité ils n'ont jamais vraiment été baptisés… Reuze, en flamand, signifie géant. A une époque où ces illustres personnages étaient beaucoup moins nombreux qu'aujourd'hui, “Le Reuze”, c'était “Le Géant” de la ville, sans risque de confusion…

Comme l'épouse du Reuze de Cassel se nomme Reuze Maman, son mari est usuellement appelé Reuze Papa. Il faut bien distinguer monsieur et madame Reuze ! Notre Reuze est également souvent appelé Reuze Papa, mais son épouse est la Reuzinne. N'ayant pas à le différencier patronymiquement de sa dulcinée, on l'appelle souvent le Reuze de Dunkerque ; ce nom n'a rien d'officiel puisque beaucoup de dunkerquois appellent leur géant Reuze Papa, tout comme son cousin casselois. Ce qui n'est pas une erreur : l'usage de ces deux dénominations est aussi ancien et aussi répandu, et l'une n'a pas à prévaloir sur l'autre !

Le Reuze sur la carte
postale premier jour de 1998.
La photographie date du début des
années quatre-vingt dix.

Acte de naissance d'un géant

C'est en 1550 que le Reuze de Dunkerque aurait fait sa première apparition. Son nom vient du flamand reus, signifiant géant. Nul ne sait exactement qui représente le géant d'osier d'alors, et deux légendes coexistent à ce sujet.

D'après la première, qui prévaut actuellement, le Reuze serait la représentation d'Allowyn - ou Hallewyn - chef militaire originaire de Scandinavie. Allowyn et ses guerriers, chargés d'envahir la Flandre, furent qualifiés de reus à cause de leur stature imposante. Débarquant dans les dunes à proximité de l'Eglise fondée par Saint-Eloi, Allowyn se blessa en tombant sur son épée. Saint-Eloi le recueillit alors, le soigna et la baptisa. Allowyn décida de finir ses jours à Dunkerque, qu'il défendit dès lors, et épousa une enfant du pays. Ce serait en son honneur que les dunkerquois auraient érigé, vers le milieu du XVIème siècle, un géant d'osier. 1850.jpg
La seconde légende, plus méconnue (peut être parce que moins poétique) fait remonter la naissance du géant à un conflit opposant au moyen âge les Kerles, paysans flamands occupant le Westhoeck depuis le IVème siècle, aux Reuzes, leurs seigneurs. Il finirent par obtenir une keure - une charte - leur octroyant la liberté. Ils fêtèrent cette victoire contre les puissants Reuzes en construisant des géants d'osiers à leur effigie, destinés à les tourner en dérision lors de processions. Quoi qu'il en soit, le géant dunkerquois était peut-être à l'origine construit pour être brûlé lors de la fête flamande de la Saint-Jean, fête du solstice d'été marquée par de grands feux.

Reuze Papa fut en effet longtemps associé aux processions religieuses de la Saint-Jean-Baptiste, et plus précisément aux manifestations populaires qui suivaient le défilé religieux, même si aucun document officiel ne l'atteste. Il est vrai que la présence de ce géant aurait pu paraître vulgaire, voire profane, aux historiens de l'époque. Ce n'est qu'en 1694 que fut imprimé un placard évoquant la procession de la Saint-Jean et mentionnant la présence de la “nouvelle machine d'un géant” précédée par … “l'ancien géant”, preuve que la tradition n'est pas nouvelle. Le nouveau géant (baptisé Titenka) et son ancêtre (le Reuze) défileront ensemble jusqu'à la révolution, qui marquera la disparition du géant Titenka.

Il existe très peu de gravures représentant le Reuze au XVIIe siècle.
Sur celle-ci, datant du XVIIIe siècle,
le Reuze défile précédé de son épouse, Madame Gentille.
Leur fils aîné Titenka les suit à cheval.

Un destin chaotique

1848.jpg A partir de cette époque, de nombreux documents permettent de suivre la carrière du Géant dunkerquois ainsi que de sa famille, puisqu'un manuscrit de 1750 évoque “une géante (…) dite la Gentille et quatre petits Mens [homme en flamand] servant de pages à la Reuzenne”. Le nom de Gentille viendrait de celui de Jeanty, ingénieur maritime dont l'épouse fut marraine de la géante. Un témoignage de 1757 évoque la présence, aux côtés du “géant Reuze”, de “la géante gentille que l'on dit sa fille” et “d'un tambour-major, de quatre joueurs de cornemuse, d'un fifre et de tambours”. Les musiciens qui accompagnent le géant interprètent notamment le Reuzelied (chant du Reuze). De grands défilés sont organisés en 1762 pour fêter le centenaire du rattachement de Dunkerque à la France et en 1774 à l'occasion de la venue du comte d'Artois, futur Charles X.

La Révolution Française est à l'origine de temps difficiles pour Reuze Papa, considéré comme un symbole du “fanatisme religieux”. Tour à tour vêtu du chapeau des Représentants de la Nation, de la carmagnole et du bonnet phrygien, il est finalement décapité. Les têtes des géants sont mises en vente en 1792. Reuze Papa ne renaîtra qu'en 1802, à l'initiative du maire qui n'obtiendra cependant pas l'autorisation de le sortir du Beffroi où il est remisé.

A partir de 1840, il sort aux cortèges du Dimanche-gras et de la mi-carême, c'est-à-dire en période de carnaval. En 1848, il est présent à l'inauguration du chemin de fer Dunkerque-Lille. Il ne ressemble plus aux gravures du début du XIXème siècle et a désormais son allure actuelle de guerrier antique.

Une gravure éditée à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, les 3 et 4 septembre 1848.
Gayant et son épouse entourent le géant dunkerquois.
webreuzexix.jpg Gayant et sa famille y étant également présents, c'est l'occasion pour le Reuze, veuf depuis la Révolution, de demander la main de la fille du géant de Douai, qui lui est refusée par le conseil municipal douaisien “étant donné la trop grande différence d'âge”. Malgré cet incident diplomatique, ce défilé est l'occasion d'une fête comme seuls les dunkerquois savent en faire puisque le rapport de l'Assemblée Nationale relève que “toute la ville se livra à une joie dont il serait difficile de retrouver les élans et l'enthousiasme dans nos grandes villes blasées”.

Quarante ans plus tard, Reuze Papa rend visite à Gayant, le froid jeté entre eux par le refus essuyé en 1848 par le géant dunkerquois s'étant estompé. C'est le début d'une série de grands voyages pour notre géant : il est à Bruxelles en 1890, à l'occasion de la fête de l'indépendance belge, à Lille en 1892, à Gand en 1896. Il y convoite une géante flamande, dont la généalogie remonterait au XIVème siècle, qui accepte de le prendre pour époux. Le mariage est célébré avec fastes, on construit même à Reuze Papa une Reuzinne et un Kindje. La Reuzinne est également appelée Mietje-Gentille (Miejte est le diminutif de Marietje et Gentille renvoie au prénom de la première géante). Le kindje se nomme Pietje, diminutif de Piet, Pierre en Flamand. On le dotera plus tard (probablement lorsque l'on décidera de donner à Pietje une forme adulte) d'un petit frère, Boutje, qui doit son prénom au diminutif dunkerquois couramment utilisé pour désigner un jeune enfant.

Le Reuze dans la deuxième partie du XIXème siècle

Gloire et disgrâce

reuzeetkintj.jpg Au début du XXème siècle, les fils électriques qui quadrillent la ville pour alimenter le tramway décapitent à plusieurs reprises le Reuze, qui est bientôt contraint à l'immobilité. Le Dunkerquois Charles Matha tente de sensibiliser ses concitoyens au sort du géant en écrivant en 1906 La Complainte du Reuze. La posture du géant a en effet bien changé et n'a plus rien de celle d'un glorieux guerrier : on l'assied pour lui permettre de passer sous les fils électriques et on lui place son kindje dans les bras.

Le Reuze … Papa

En 1910, il se rend, à Valenciennes, à un colossal rassemblement de géants. Il ne supporta visiblement pas ce voyage, puisqu'en 1913 on en arrive à la triste situation évoquée plus haut. 1924 est l'année de la renaissance pour Reuze Papa : après avoir été endommagé pendant la guerre, il est rénové, doté d'une nouvelle tête, et est équipé d'un système de monte-et-baisse qui lui permet de passer sous les fils du tramway. En 1928 à Cassel, il prend part accompagné d'une Reuzinne et de neuf petits géants, à une procession réalisée en l'honneur du maréchal Foch. Ces neuf petits géants sont ses deux enfants et ses sept gardes : Allowyn, Bambin, Dagobert, Gélon, Goliath, Roland, Samson. Allowyn doit son nom au guerrier scandinave de la légende du Reuze, et Dagobert est le roi de France dont Saint-Eloi fut ministre. Géon fut roi de Syracuse, et Goliath et Samson sont deux personnages bibliques, l'un connu pour sa taille - c'est le géant que battit David -, l'autre pour sa force. Quand à Bambin, c'est le nom que portait le fils du Reuze d'avant la Révolution. reuze65.jpg A l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, Reuze Papa fait partie des rares “monuments” de Dunkerque à tenir encore debout : dès 1947, il participe au défilé de la mi-carême. Mais les “préposés aux perches” chargés depuis l'instauration du système de monte-et-baisse de lever les fils du tramway au passage du géant ont perdu la main et le Reuze est décapité suite à une erreur de manipulation.

Il est restauré en 1951 par Maurice et Georgette Deschodt d'Hazebrouck, et ce n'est qu'en 1952 que les Dunkerquois purent admirer la nouvelle tête de leur géant. En 1956, ses vêtements bénéficient à leur tour d'un rajeunissement : le Reuze est sa famille sont rhabillés à grands frais. Le géant, drapé de son nouveau costume de romain, remporte cette année-là, à Lille, le prix du plus beau géant français.

En 1962, c'est le tricentenaire du rattachement définitif de Dunkerque à la France : Reuze Papa prend activement part aux festivités, en juin, et défile escorté de nombreux géants flamands et artésiens. Auparavant, il aura de nouveau eu droit à un dépoussiérage. En 1963, le Reuze commet même une petite infidélité envers Dunkerque en participant au carnaval de Bailleuil, Gargantua ayant été endommagé dans un incendie.

Le Reuze dans toute sa splendeur
(entouré de Cô Pinard et des Acharnés)
sur cette carte postale éditée en 1965

Claude Lebœuf, maquettiste Coudekerquois à l'origine des travaux de rénovation de 1962, dote en 1967 les gardes et les enfants du Reuze de nouvelles têtes et de nouvelles mains en polyester.

Jusqu'à la fin du XXème siècle, le Reuze et sa famille furent de moins en moins associés aux défilés carnavalesques et aux différentes manifestations dunkerquoises. Reuze Papa ne défilait plus. Le jour de la bande de Dunkerque, on le “posait” place Jean Bart, sans aucun souci de mise en valeur, et beaucoup ignoraient le Géant. A l'occasion de la bande de la Violette, il fut souvent placé à l'entrée du parc Malo, puis devant la mairie. Il fut parfois mystérieusement absent, tout comme aux autres bandes dunkerquoises où sa présence aurait été, après tout, justifiée. Ses gardes et ses enfants, en mauvais état, apparurent tout aussi épisodiquement. Le Reuze ne fut pas non plus représenté lors des fêtes de Lille où, le 20 juin 1999, confluèrent de l'Europe entière plus de deux cents géants venus célébrer le baptême des lillois Lydéric et Phinaert, entièrement reconstruits.

Dunkerque aurait-elle été sur le point de renoncer à son plus vieux symbole ? Certains éléments portaient pourtant à croire que non. Ainsi, en 1998, un timbre représentant la ville de Dunkerque fut édité. Y figurent l'Eglise Saint-Eloi - dont les abords avaient été aménagés peu de temps auparavant -, le Dick - alors en cours de rénovation - et au premier plan le Reuze… tel qu'on pouvait le voir dans les années soixante, debout sur son char.

A sa sortie, le timbre est accompagné d'une carte postale premier jour illustrée d'une photographie du Reuze dans son état d'alors, prise en contre-plongée, c'est-à-dire de manière à atténuer le plus possible l'aspect “ratatiné” qu'avait le géant (voir la page d'introduction). Au seuil du XXIème siècle, le Reuze s'apparentait bien plus à un monarque moribond que l'on sortait de temps à autre pour rassurer le peuple et que l'on ne photographiait que sous son meilleur jour qu'à un géant altier, symbole d'une ville et d'une culture fièrement honorée.

Mais l'histoire du Reuze ainsi que celle de sa famille - sa femme et ses enfants - et de ses gardes est si riche et mouvementé qu'il semblait impensable qu'une telle épopée puisse toucher à sa fin…

Le timbre de 1998,
édité à l'occasion du 71ème congrès
de la Fédération Française
des Associations Philatéliques

Le retour du Reuze

LE REVEIL DES GEANTS

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Bibliographie

  • Chaussois (Robert), GĂ©ants du Nord/Pas-de-Calais, Le TĂ©mĂ©raire, 1998
  • Codron (Christine) et Filatriau (Jean-Pierre), Sous les jupes des gĂ©ants, La Voix du Nord, 1999
  • Denise (Jean), Carnaval dunkerquois, Westhoek-Editions, 1984
  • Loosen (Michel), Cent et un gĂ©ants de Flandre et d'ailleurs, Foyer Culturel de l'Houtland, 1993
  • Tillie (Catherine), Le Carnaval dunkerquois et les gĂ©ants, Kim- Dunkerque, 1975
 
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